samedi 18 février 2017

Neurobiologie et éducation







Conférence du neurobiologiste Prof. Dr. Gerald Hüther
Dans le cadre de la zweite Konferenz des Denkwerks Zukunft
Berlin, 15 janvier 2011.
Présentée par l'Institut Arno Stern et le mouvement "écologie de l'éducation".
Neurobiologiste allemand de premier plan, le Pr. Gerald Hüther dirige le département de recherche fondamentale de neurobiologie du Centre Hospitalier Universitaire psychiatrique de l'université de Göttingen et le centre de recherche préventive de neurobiologie de l'université de Göttingen et Mannheim/Heidelberg. Il est l'auteur de plusieurs livres sur le sujet.

Pourquoi est-il si difficile de se débarrasser des schémas incrustés dans nos fonctionnements ?

On ne vient pourtant pas au monde avec cet état d’esprit.
Il y a une étude extraordinaire qui nous ouvre les yeux.
Elle démontre que beaucoup de nos schémas de pensée sont transmis alors que nous ne sommes pas même conscients de cette transmission.
Cette étude montre qu’à six mois, un enfant est déjà en mesure d’observer une petite scène, avec une colline au pied de laquelle arrive un bonhomme jaune, comme dans un dessin animé qui veut escalader cette colline, il glisse et recule plusieurs fois, et n’arrive à grande peine au sommet.

Le bébé de six mois assiste à la scène et n’en perds pas une miette.

Fin de la première séquence.

Deuxième séquence : de nouveau la colline, de nouveau le bonhomme jaune, qui cherche à escalader la pente, et là apparaît un bonhomme vert qui l’aide, en se plaçant derrière lui pour le pousser jusqu’en haut.

Fin de la deuxième séquence.

Le bébé ne s’impatiente pas et observe aussi la troisième séquence.
A nouveau le bonhomme jaune, qui tente à nouveau de grimper sur la colline. Mais cette fois apparaît en haut un bonhomme bleu, qui le repousse tout en bas.

Le bébé observe cela également

Juste après, on place chacun des bébés qui ont regardé ces présentations à une table.
Où on leur présente le bonhomme vert le bonhomme bleu qu’ils viennent de voir en action.
Et on observe lequel des deux le bébé va prendre.

Vous vous en doutez, les bébés de cet âge ne prennent pas ce qui ne leur plaît pas.
Tous les enfants tous les bébés de six mois, après avoir vu ces trois scènes, prennent le bonhomme vert, celui qui aide.

Aucun d’entre nous ne vient au monde en consumériste, ou en égocentrique brutal et sans égards.
Cet état d’esprit est donc une chose qui s’acquiert avec le temps. Eh oui, cela s’installe …
Et la bonne nouvelle pour tous ceux d’entre vous qui sont éducateurs ou parents, c’est que cela se met en place bien plus tôt que nous ne le pensions jusqu’à présent.

On peut répéter cette même expérience avec les mêmes enfants, six mois plus tard, quand ils ont un an.

A nouveau les trois séquences, puis le bonhomme vert et le bonhomme bleu …
Et tout à coup, 10 à 20 % des enfants d’un an prennent le bonhomme bleu, celui qui repousse l’autre.
Alors se pose la question : à ces enfants, qui ne parlent pas encore, qui a bien pu leur apprendre ça ?
Et c’est là que vous comprenez ce que signifie la pensée systémique.

C’est là que vous voyez ce qui refrène nos découvertes et nos pensées.

Ces enfants n’ont fait qu’observer.

Dans le système familial dans lequel ils grandissent se trouve quelqu’un qui arrive brillamment à ses fins, à l’intérieur du système familial, aux dépens des autres.

Et vous ne pensez pas sérieusement que, pour un si petit enfant, il serait sensé,
Qu’il serait biologiquement sensé de prendre exemple sur celui qui ne fait pas ça ?

Les enfants prennent exemple sur ceux qui réussissent.

Donc, les enfants deviennent comme nous.

C’est la première bonne nouvelle !

Deuxième bonne nouvelle : les enfants naissent avec une ouverture d’esprit incroyable, avec un cerveau qui met à disposition d’innombrables connexions, parce que justement, il n’y a aucun programme génétique qui puisse savoir à l’avance comment un cerveau humain sera utilisé.
Parce que les programmes génétiques ne peuvent pas savoir si tel enfant va venir au monde au Moyen âge

-       Les programmes génétiques étaient alors les mêmes

-       Où l’enfant va naître il y a cent mille ans, quand ou si cet enfant va naître de nos jours Esquimau, au cercle polaire, ou Indien d’Amazonie, au Brésil, ou encore petit Chinois en Chine …tout ça, les programmes génétiques ne le savent pas.

Et c’est pour ça qu’ils nous équipent – c’est une découverte évolutionniste majeure – d’un cerveau avec lequel tout peut se faire.

Trop, oui, trop de cellules nerveuses au début, vous en avez tous possédé un tiers de plus dans votre cerveau qu’il ne vous en reste aujourd’hui.

C’était avant la naissance, à l’époque, les programmes génétiques avaient fait une surestimation de ce qu’il faut à un bon cerveau humain.

Nous sommes donc envoyés dans le monde avec du surplus.

De même pour les connexions neuronales, beaucoup, beaucoup trop, au début elles sont simplement mises à disposition, cela commence à l’arrière, dans le tronc cérébral, puis séquentiellement, dans les diverses régions et, je vous le souhaite, jusqu’au cortex frontal, où là, ça ne s’arrête plus.

Là, elles sont toujours disponibles, et l’on serait capable, sa vie durant, de penser et de sentir différemment, si seulement on avait une bonne raison, une raison assez forte.

Et nous voilà arrivés à un autre point :

Tous les enfants font, au début de leur vie, et même avant la naissance, deux expériences majeures – vous les avez tous faites aussi, qui sont totalement banales, tant qu’un enfant grandit dans le ventre d’une mère.

Il éprouve la croissance d’une part, et, d’autre part, le lien.

Ce sont les deux expériences de bases faites par chaque être humain.

A partir de ces expériences majeures donc, de l’expérience fondamentale de la croissance, quelque chose s’ancre dans le cerveau, pour ainsi dire, l’expérience s’ancre dans le cerveau, et là où se trouve aussi ce qu’on appelle le « système de la curiosité », qui utilise certains transmetteurs, tels la dopamine, et ce système – qui se forme lui-même en fonction des expériences intra utérines, ce système fait que lorsqu’un enfant vient au monde, il y arrive avec l’espoir qu’il y aura, dehors, quelque chose à découvrir et quelque chose à faire.

Il veut grandir, il veut montrer qu’il sait faire des choses, trouver des choses à faire qui le feront grandir, il veut devenir autonome, et libre aussi.

Voilà ! Quant à l’autre grande expérience prénatale, celle du lien, elle aussi se vit puis s’ancre profondément dans le cerveau, pour ça aussi il y a un système, nommé « système de l’attachement », qui travaille avec d’autres transmetteurs comme l’ocytocine, la prolactine, et ce système se forme, lui aussi, en fonction des expériences prénatales, et chaque enfant vient alors au monde avec l’espoir que, dehors, il sera, d’une manière ou d’une autre, bienvenu, qu’il trouvera quelqu’un qui le prendra dans ses bras, qui lui offrira proximité et sécurité.

Alors, ces enfants vont dans le vaste monde, et font des expériences, les expériences les plus importantes sont toujours celles qui ont lieu quand il est possible de combiner ces deux expériences primitives.

On se souvient que ça marchait à l’époque !

Pendant au moins 9 mois, on a pu vivre en même temps le lien et la croissance.
Alors on se retrouve dehors, et ce qu’on est ne convient pas tout à fait à la maman, ou au papa, ou à quelqu’un d’autre …

On n’est pas accueilli tel que l’on est, des adultes se mettent à vous éduquer de partout,
 Parce qu’ils voudraient qu’on soit comme eux, ou comme ce qu’ils auraient  aimé être ou devenir.
Mais on peut aussi être, en quelque sorte, écrasé par ce que j’aime appeler l’amour grappin, qui nous empêche de vivre notre besoin de croissance, et on se noie, en quelque sorte, dans le pot de miel de l’attachement.

Situations aussi catastrophiques l’une que l’autre.

Dans les deux cas – on le sait à présent, dans le cerveau, ce sont les mêmes réseaux neuronaux qui sont activés, quand on vit cela, les mêmes circuits neuronaux s’activent quand on nous inflige des souffrances corporelles.

Autrement dit, notre cerveau réagit de la même manière lorsque nous sommes exclus d’une communauté que lorsqu’il repère un dérangement dans notre relation avec notre corps.

Quand ça ne va pas dans le corps, ça fait mal,
Quand ça ne va pas dans notre relation avec l’autre, ça fait mal aussi.

Le même système, dans les deux cas, ça fait mal, et il nous faut une solution, et voilà nos tout – petits déjà contraints de trouver une solution bizarre, et si les adultes ne leur montrent pas à quoi pourraient ressembler ces solutions – nous pourrons discuter un peu plus tard de ce à quoi elles devraient ressembler, si nous le leur montrons pas – probablement parce que nous l’ignorons nous-mêmes, à quoi pourrait ressembler une solution pour être à la fois lié et libre, eh bien, alors, ils souffrent …
Et comme il est insoutenable de souffrir tout le temps, nous avons besoin dès notre plus jeune âge – et plus tard en tant qu’adulte, à chaque fois que nous ne pouvons pas recevoir ce dont nous avons besoin, de trouver quelque chose qui nous permette de le supporter.

Quand on ne reçoit pas ce dont on a besoin, on prend ce qu’on arrive à prendre.

Et à chaque fois qu’on y arrive, on en est un peu contenté.

Et cela active dans le cerveau ce que les neuroscientifiques appellent le centre de gratification.
A chaque fois qu’on s’enthousiasme pour quelque chose, et sur ce quoi on s’enthousiasme importe peu au cerveau, il y a ce qu’on appelle des transmetteurs neuro plastiques qui se déversent, et ces transmetteurs neuroplastiques sont comme l’engrais pour le cerveau, mais ces neurotransmetteurs, lorsqu’on nous fait apprendre l’annuaire par cœur, ou bien … lorsque l’on subit les conseils de gens avisés … ils ne sont pas déversés.

Ces transmetteurs neuroplastiques ne déversent que lorsque les centres émotionnels sont activés dans le cerveau, il faut que quelque chose vous prenne aux tripes, il faut que quelque chose vous soit particulièrement important...

Important, par exemple, parce qu’il vous faut absolument, parce que vous souffrez, il vous faut un succédané, qui ramènera le calme dans votre cerveau.

Ces neurotransmetteurs savent faire une chose géniale, ils amènent les cellules nerveuses qui sont en dessous, par le biais d’un processus, induit par les récepteurs, de transduction du signal, à initier une induction génétique …

Comme ça, vous entendez que moi aussi, je sais parler comme un scientifique …
Ce que cela veut dire en réalité, c’est que les neurotransmetteurs amènent les cellules nerveuses d’en dessous à produire des protéines, qu’elles ont, bien souvent, cessé de produire depuis longtemps, de ces protéines nécessaires pour construire de nouveaux filaments, établir de nouveaux contacts, pour rendre les réseaux neuronaux plus denses.

Et voilà qui éclaire merveilleusement comment, chaque fois que l’on s’enthousiasme pour quelque chose, un arrosoir déverse dans le cerveau cet engrais, ce « fertiliseur » qui fertilise le cerveau – mais seulement les zones que l’on utilise dans un état d’enthousiasme !

Nos jeunes ont, depuis dix ans, une région du cerveau qui reçoit tant d’engrais qu’elle a déjà doublé de taille :

Il s’agit de la région qui est chargée de la régulation des mouvements du pouce !
(C’est aussi une manière de donner aux enfants l’occasion de se préparer pour l’avenir …)
Ce dont vous vous doutez à présent – ou alors vous le savez déjà – c’est que cet enthousiasme, nécessaire pour qu’il y ait des changements dans le cerveau, on en peut l’avoir sur ordonnance, ni l’engendrer par de savantes conférences.

Non : il faut que les gens soient émus, touchés dans leur cœur, il faudrait, comme le dit Hermann Hesse, que l’on soit empoigné au cœur, pour que ça marche.

Si vous pensez au petit enfant de trois ans que vous avez été, vous savez qu’alors, 50 fois par jour – certains même 100 fois par jour, vous vous enthousiasmez pour quelque chose.

Pour chaque petit bout de fil qui dépasse là-dessous, un enfant de trois ans peut s’enthousiasmer pendant une demi-heure, l’arrosoir dans son cerveau est continuellement ouvert, l’engrais est répandu sans arrêt, et surtout, partout, car l’enfant s’enthousiasme pour tout – et pas seulement pour la télévision, espérons-le …

Et c’est ainsi que, pendant cette période, le cerveau reçoit tout le temps de l’engrais …

Et puis, nous envoyons ces enfants à l’école !

Je ne veux pas prolonger, mais vous êtes en mesure de retracer vous-mêmes ce qui est vous arrivé depuis …

Jusqu’où vous en êtes arrivés, ce qu’il en est aujourd’hui, et quand vous aurez mon âge, vous demanderez, vous aussi, à ceux qui vous entourent, ce que je fais moi-même, à quelle fréquence il leur arrive encore … de s’enthousiasmer – ce qui serait nécessaire, pour qu’on puisse penser autrement, pour que puisse se constituer, dans le cerveau, un nouveau schéma de connexions …
Pour certains, ça n’arrive qu’à Pâques et à Noël, pour d’autres plus du tout, depuis longtemps déjà.
Ce qui est intéressant, c’est que ce serait possible !

Un Berlinois de 85 ans peut tout à fait apprendre le chinois … à 85 ans, mais probablement pas à l’université populaire de Berlin.

Il faudrait plutôt qu’à nouveau … il s’enthousiasme, il faudrait que ça l’entraîne vraiment …
Il suffirait qu’il tombe tellement amoureux d’une jeune et jolie chinoise de 65 ans, que lorsqu'elle veut retourner en Chine centrale dans son petit village de Ching Fung, il y aille aussi.

Et voici le clou, le point culminant de cette petite session, de cette conférence :

Vous tous, vous tous qui êtes assis ici, savez que ce monsieur de 85 ans qui, dans son enthousiasme va en Chine avec cette femme, aura appris le chinois en six mois. A 85 ans.

On n’a donc aucun problème technique dans le cerveau si on ne peut plus apprendre le chinois à 85 ans, on a un problème d’enthousiasme, et ce qui est grave, c’est que nous le savons tous !

Nous devrions pouvoir nous enthousiasmer pour quelque chose de différent de ce que nous connaissions jusqu’ici, mais jusqu’ici, nous avons vécu tant d’expériences négatives !

Quand nous essayons de nous intégrer, quand nous cherchons des occasions de montrer que nous sommes capables, de devenirs libres et autonomes …

Ce faisant, nous avons vécu tant d’expériences négatives, nous constatons encore et toujours que ça ne marche pas, que c’est inconciliable …

Alors nous cherchons des satisfactions de substitution.

Et c’est ce que Juliet nous a admirablement présenté : le consumérisme.

Bien sûr, quand on ne reçoit pas ce dont on a besoin, on prend ce qui est proposé ici ou là.

Et il y a toute une industrie qui n’attend que ça, qu’il y ait autant de gens avec autant de besoins insatisfaits que possible, car ce sont eux qui entretiennent l’économie.


Ça veut dire qu’il nous faut des enfances qui rendent les enfants malheureux, il nous faut des enfances au cours desquelles les deux besoins de base des enfants ne sont pas satisfaits, car sinon, on n’aurait pas, à la fin, tous ces consommateurs qui achètent toute cette camelote dont personne n’a besoin, quand ça va bien.


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